Mais voilà que je m’égare
Que j’aligne des mots en perdant le fil
Je m’inquiète
Je m’inquiète de cette indifférence symptomatique
Signe d’une maladie qui nous ronge
Qui s’insinue par toutes les failles de notre attention
Ça commence par les copinages d’élus assoiffés de pouvoir
Ça continue en plaçant les amis puis les amis des amis aux postes clés
Ça se poursuit en stigmatisant toute forme d’opposition
Toujours au nom de vérités auto-proclamées
De dogmes éculés
De savoirs incontestables mais tournés dans un seul sens
Celui qui convient à qui détient pouvoir et puissance
Pouvoir et puissance qui imposent aux autres
Aux riens qui ne sont pas du côté du manche
Obéissance et soumission
Là je ne m’égare plus
Au risque de vous lasser je voudrais appeler les choses par leur nom
Dans ma ville une librairie ferme
Que les imbéciles dits de « droite » n’en disent rien ne m’étonne pas
Que les imbéciles qui se disent de gauche n’en disent rien m’écoeure
Que tous viennent sous peu pleurer
Lorsque les idiots qui se proclament d’extrême droite
Fiers de leur victoire viendront parader devant les vitrines en deuil
D’une culture bourgeoise épuisée par ses promoteurs
Voilà qui me désole tant le schéma n’est que redite d’une histoire
Dont tous avaient proclamé qu’elles ne devaient pas se répéter
Le fascisme répond à une rhétorique
C’est une lente descente en enfer
Ont peut toujours le dénoncer lorsqu’il s’installe
Il faudrait peut-être pointer du doigt la philosophie qui lui ouvre les portes
Celle qui dit qu’il y en a qui sont quelque chose
Tandis que les autres ne sont « rien »
Celle qui tolère que des hommes des femmes et des enfants se noient à nos portes
Celle qui tolère qu’un mort israélien est supérieur à des milliers de morts palestiniens
Celle qui tolère qu’une religion soit stigmatisé au nom de ses « intégristes » stupides
Celle qui accepte que des élites causent de tout sans rien savoir de la vie de ceux dont ils causent
Celle qui considère que certains savoirs seraient plus « sérieux » que d’autres
Celle qui stigmatise tout propos critique au nom d’une science prétendument exacte
Le processus est en marche et nous n’en disons rien
Nous continuons à faire comme si de rien n’était
Sans entendre les esprits déjà acquis au mufle hideux
Sans observer comment la déshumanisation du monde
Est une accélération vers le mur de l’horreur pourtant déjà connue
Déjà vécue
Déjà vécue
Comment pouvons nous l’ignorer
Dans un pays qui est sensé enseigner l’histoire
Mais qui accepte que des hommes tuent leurs compagnes
Que des enfants soient jetés à la rue
Que les orientations sexuelles soient stigmatisées
Ce pays là est déjà l’objet d’une gangrène
Comment accepter que tant de connaissances soient disponibles
Tandis que l’ignorance gagne du terrain
Chacun tourne ses vidéos pour dire sa vérité
Chacun sauve son petit ego sur la scène d’une culture spectacle
On idolâtre les « meilleurs »
Sans voir qu’en d’autres temps les idoles nous menèrent
Tous marchant au pas et le bras tendus
Dans le gouffre des crimes contre toute humanité
Pardonne-moi lecteur
Cette profonde colère
Poussée dans le silence abyssal d’une ville enfoncée dans un mutisme pesant
Ma ville se dit « ville du livre et de la culture »
Mais des gens cultivés acceptent qu’une librairie ferme en son coeur
Tandis que la misère y croit dans les zones marginales d’une ville vieillissante
La jeunesse s’en va sous d’autres cieux
Ne revient qu’en situation d’échec
Il y a ceux qui s’en sortent
Et ceux qui ne sont « rien »
Méprisés par les premiers
Tout ceci dans le lit dressé par les dogmes néo-libéraux
Bien installés dans une rhétorique du pire
Au nom d’un commerce confondu avec le pléthore de tout
Pléthore qu’on jette
Pléthore que les miséreux vont chercher dans les poubelles
Une fois la nuit tombée
Pardonne-moi lecteur de cette poussée d’urticaire
Mais le néo-libéralisme
S’il n’est pas lui-même un fascisme
Nous y mène tout droit en étouffant toute voix divergente
*
Mais bien sur que vous ne l’êtes pas
Imbéciles
Vous qui ne lisez pas
Ma colère me pousse à propos trop forts
Dont vous pourriez me juger arrogant
Vous ne l’êtes pas
Vous pourriez simplement
L’être encore moins si
Que dans ma ville une librairie sur trois ferme
Peut-être demain deux sur trois
Me semble simplement terrifiant
Quand à chaque coin de rue on trouve coiffeurs
Ou commerces de vêtements
La parure et l’apparence
Si possible de la couleur des pavés
La couleur et l’apparence de la ville
Tandis que sa population vieillit
Sans que rien ne soit imaginé
Qui en enraye le déclin
Le poète solitaire rêve d’autre chose
D’une ville ardente où jeunesse et vieillesse seraient
D’un commun accord capable de vivre leurs rêves
Le poète solitaire imagine une ville
Où créer soit un mode de vie
Et non un enterrement de première catégorie
Xavier Lainé
13 avril 2024