mercredi 24 avril 2024

Pas savoir 1

 






Tant d’histoires qu’on raconte

Qui se font culte et parfois dogmes

Mais qui restent des histoires

Pour occuper les esprits

En mal de vivre


Il faudrait pouvoir ne rien croire

Juste poser les jalons printaniers

D’une vie follement arrosée

D’un espoir à créer


Je pourrais moi aussi

Écrire de vaines blagues

Qui vous feraient sourire

À défaut d’en rire


Il ne resterait qu’à attendre

Que vienne d’un au-delà de ce monde

Une résurrection des morts

Qui serait sélective

Les plus pauvres d’abord

Les pauvres cons de morts pour rien

Disait le berger des mots


Mais dans ce sens là ça ne marche pas

Car certains meurent plus que d’autres

Certains ont la mort qui pèse plus que d’autres

On a la mort sélective le premier avril

Mais pas seulement


*


Ce n’est pas une blague

Quelque part nous n’avons pas su

Dire cette confiscation néo-libérale

Dénoncer cet ordre construit 

Sur le meurtre et la torture


Ils n’ont cessé de vous dire 

Que nos pensées étaient mauvaises

Qu’en détruisant leur domination

Nous détruirions aussi nos petites vies

Nos vies minuscules au regard des fortunes

Qu’ils étaient décidé à engranger et défendre


Nous n’avons pas su depuis ce demi-siècle

Montrer que nos idées sont irréductibles

Car elles n’ont pas la rigidité des monolithes

Elles ne sont pas gravées dans le marbre des dogmes

Tandis que parmi nous les fauteurs de désespoir

Signaient trop souvent pacte avec le diable


Sous la contrainte qu’ils disaient

Mais c’est qu’ils avaient peur eux-mêmes

Les fossoyeurs de pensées généreuses

Ils avaient peur pour eux-mêmes

Que vous soyez noyés dans cet enfer

Réduits à n’être que les suppôts du commerce

Dont les fossoyeurs de toutes démocraties

Tiraient profits et dividendes


Nous n’avons pas su maintenir 

Du fond du gouffre où ils nous ont plongés

Coupant les doigts de Jara

Assassinant Pablo Neruda

La parole d’espoir qui était la nôtre

Qui n’était pas celle d’un bloc dogmatique

Condamnant aux goulags les révolutionnaires 

Qui espéraient en des idées communes

Construire un autre monde


Celui dont vous héritez est la suite logique

D’une tragédie dont les propriétaires de la presse

Font tout pour effacer la mémoire


Vous voici vous cognant aux murs trop étroits

De leur monde ensanglanté

Qui ne cesse de s’étendre en ruines et misères


C’est que nous avons vu surgir

Cette bête immonde détournant l’idée même de liberté

Pour la réduire à celle de consommer toujours plus

Tandis qu’ils réduisent la terre elle-même

À devenir potentiellement notre tombeau


Et nous avons laissé par naïveté malsaine

Le pouvoir à des trompes-l’oeil

Des fac-similés des avatars sans pensée

Détournant nos idées généreuses

Pour mieux les mettre à genoux

Les corrompre et les retourner comme gants

Au service de leurs maîtres


Ce n’est pas une blague

Nous devons relever le gant des espérances refoulées

Trop longtemps enfouies et murées

Sous la pression des dogmes assassins

Formés dans les écoles du fascisme néo-libéral



Xavier Lainé

1er avril 2024


mardi 23 avril 2024

Folies 31

 



Image : Graphèmes enfantins- Xavier Lainé (avec l'accord de l'enfant)



Comment dire combien Sébastien peut avoir raison

D’écrire depuis son temps lointain

Que nous voici embarqués sur la nef des fous


La folie dure un jour

Elle traverse une semaine

Puis dure un mois

Puis franchi les frontières de celui-là

Et envahit tout


Elle envahit tout cette folie dure

Elle dure

Elle se traduit en longue liste de pauvres gens

Jetés du pont de la société

Dans le coeur même de la misère

De la misère dans la rivière

De la misère ou de la guerre

Dans les eaux troubles de l’oubli


Nous en sommes là de la folie

D’un monde dont on avait cru sortir

Mais il semble que si nous en sommes sortis

C’est sans tirer les leçons de notre passé

Passé qui se décompose au fond de nos mémoires

Alors comme le poisson rouge

Nous repassons sans cesse par la même case

Où nous attendent nos peurs et nos angoisses

C’est folie encore qui traverse les mois et qui dure

À se demander si un jour nous saurions

Enfin mettre un terme aux dominations absurdes



Xavier Lainé

31 mars 2024


lundi 22 avril 2024

Un petit cours de rhétorique ne fait jamais de mal à personne

 





« On attend d’une opposition municipale qu’elle soit constructive et qu’elle fasse primer l’intérêt général. Or, refuser de reconnaître que les choses avancent dans le bon sens par dogmatisme dénote une pointe de jalousie ou de rancoeur qui n’honore pas celles et ceux qui donnent des leçons de morale ou qui s’opposent systématiquement. » (Groupe « Manosque Terre d’Avenir », in Bulletin municipal, printemps 2024)


La rhétorique est terrible car parfois elle se retourne et revient tel boomerang à la figure de qui la pratique.

Il semble qu’ici la notion même de démocratie soit passé aux oubliettes de l’esprit.

C’est sûr que l’opposition ne soit plus l’opposition mais se range au « bon sens » de la majorité, ce serait plus confortable !

Posons la question du « bon sens » : la rhétorique démocratique viendrait considérer qu’il y a autant de « bon sens » que de citoyen en âge de réfléchir ; la rhétorique totalitaire consiste en ce jeu qui fait de ce « bon sens » la propriété des seuls élus, toute autre manière de penser étant condamnée d’avance, si possible sans discussion.

Posons la question du dogmatisme : il n’est la propriété de personne ou de tout un chacun. Les dogmes, dès lors qu’il y a débat politique ont la peau dure et chaque bord en use et en abuse pour condamner l’autre, celui qui ne pense pas comme il faut. Ici aussi, la rhétorique démocratique voudrait que le terme même de dogmatique ne s’impose que pour caractériser celui ou celle qui applique des mesures y compris délétères, tout en affirmant sa bonne raison ; affirmer que dès lors qu’on s’oppose on agirait selon des dogmes relève d’une logique purement totalitaire.

Nous voici devant ce que je nomme depuis longtemps une rhétorique fascisante : l’autre, celui qui s’oppose, qui n’a pas mes arguments, qui n’a pas ma couleur de peau, mes croyances, ma philosophie est d’office condamnable car « aveugle à l’intérêt général » (sans dire en quoi), « dogmatique » (sans argumenter les dogmes supposés), accusé de « jalousie ou de rancoeur » (car bien sûr c’est le propre de l’élite de se croire victime de la vindicte populaire)…

Et bien évidemment on accuse l’autre de faire la morale quand soi-même on prend le ton moralisateur prêté à celui-la.


Concrètement, comment caractériser les actes qui sont posés en s’appuyant sur un tel discours ?

Une ville vieillit, sa jeunesse s’enfuit, son commerce s’étiole, son économie prend l’eau, sa culture est vendue à l’encan, sacrifiée sur l’autel de « l’animation » : on occupe les esprits, on ne les cultive pas.

Néron ainsi vantait les mérites du cirque en donnant à son peuple « du pain et des jeux ».

Les millénaires passent, la rhétorique demeure. 

Hors du sentier des dogmes établis, penser le développement d’une ville, justement, consiste à sortir des idées toutes faites, et d’assembler toutes les façons de voir pour sortir de l’ornière.

Au dogme du néo-libéralisme, il ne s’agit pas d’opposer un autre dogme qui agirait comme baguette magique, mais de mettre au service du commun toutes les énergies avant qu’elles ne s’épuisent.

Car ils sont nombreux les acteurs du commun : ils ne savent pas toujours que ce qu’ils font, souvent bénévolement, participe de cet « intérêt général » dont la rhétorique totalitaire pense être seule à détenir le privilège.

L’économique psalmodié comme un mantra ne fait que cultiver l’individualisme de ceux qui tirent profit de la ruine des autres.

L’humain remis au centre ne laisse aucune place à cette forme d’égoïsme qui est l’apanage d’un système capitaliste qui adore les totalitarismes quand il se sent confronté à l’échec de ses dogmes économiques : extension de la misère sociale et culturelle, naufrages dont guerres et violences sont l’issue logique (relisez donc Jaurès : « Le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage »).


Dans une ville livrée aux appétits grossiers des assoiffés de pouvoir et de puissance, usant et abusant d’une rhétorique totalitaire, il serait temps de réunir toutes les intelligences pour oeuvrer à la sortie du gouffre et de l’ornière.



Xavier Lainé

22 avril 2024


Folies 30

 



Image : Graphèmes enfantins- Xavier Lainé (avec l'accord de l'enfant)




« Il est fou, qui fait à autrui

Ce qu’il n’aimerait qu’on lui fit.

Le sort que tu réserves à l’autre

C’est le même qu’il te fera.

Ce que tu cries dans la forêt

En écho, toujours l’entendras ;

Qui met l’autre dans un sac,

Se prépare ses toile et corde.

Qui répand les défauts des autres

On lui dira ses vérités… »

Sébastien Brant, La nef des fous


Oserions-nous nous emparer des mots des autres

Ou serons-nous assez fous pour nous croire hors d’atteinte

Ce que nous cautionnons aujourd’hui ailleurs

Un jour pourrait s’inviter à notre table

Nous n’aurons alors rien ni personne

Pour dresser barrage à l’inhumanité si commode

Alors que réfléchir et penser nécessite quelque effort


Serions-nous assez fous

Pour ignorer qui attire notre attention

Sur nos travers et nos folies

Jeter aux oubliettes de l’histoire

Les mots qui devraient nous réveiller

De la torpeur où nous endorment

Les plus fous parmi les fous

Détenant pouvoir et argent

Au seul profit de leurs tristes gloires

En oubliant d’être humain

Vendant leurs armes aux fous

Si prompts à en faire usage


Il semble que oui

Que le mois des fous peu à peu

Colonise tous les autres

Au point qu’il n’est plus une île

Plus un lieu où trouver refuge

Devant le tsunami de nos folies


*


Tant de vies brisées

Et toi ?

Tu écris 


Tu es l’homme de la poésie solitaire

Qui ne se dit qu’en chuchotant 

Aux oreilles potentiellement attentives


Tu es l’homme qui écris des mots 

Dans le secret d’une vie pas 

Pas meilleure qu’une autre

Pas pire non plus


Ce que tu aimes

C’est lorsque d’un mot

Le visage de l’autre se met à rougir

Alors tu te mets à l’aimer

Ce visage inconnu

Il reste gravé dans ton regard


Tout en ce monde est question 

De rentabilité

Toi tu n’y crois pas



Xavier Lainé

30 mars 2024